Prostitution : Quand les mineures font une percée inquiétante





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Ruth G. élève brillante qui a été reçu au BEPC à l’âge de 14 ans, a interrompu ses études l’année suivante, en classe de 2nde. La raison est toute simple. Pendant les vacances qui ont suivi l’obtention du BEPC, cette adolescente a commencé à fréquenter des camarades d’enfance. Elles ont grandi dans le même quartier d’Abobo Plaque. Seulement, ces dernières avaient arrêté les études depuis belle lurette. Pour certaines, depuis le primaire. Sauf que Ruth découvre que ces dernières possèdent des choses qu’elle n’a pas. Des chaussures tendances, des vêtements à la mode et coûteux, des téléphones portables dernier cri. Pourtant, comme elle, leurs parents n’ont pas les moyens. Difficile d’ailleurs dans ce bas quartier de trouver des personnes aisées. C’est là que Ruth va intégrer leur milieu.
En fait, ces gamines s’adonnent à la prostitution. Leurs âges varient entre 13 et 16 ans. Leur lieu de prédilection, la voie située entre la cité universitaire Abobo 2 et le quartier Plaque. Normal puisque c’est un haut lieu de show. Le noceur qui arrive pour la première fois en ce lieu est servi. Juste après l’emplacement d’un ancien supermarché bien connu des Abobolais, se dresse le maquis Bunker qui règne en maître absolu dans  lieu de joie. En face de lui, le 447, un autre endroit de beuverie n’en démord pas malgré son farouche concurrent qui tente de le noyer. Un peu plus loin, le maquis La Présidence fait vibrer ses appareils de sonorisation pour le bonheur de sa clientèle. À côté, le bar rRoyal, leader dans son domaine, garde pour lui les clients selects. Mais tous ces espaces de joie côtoient le plaisir charnel. Avec des mineurs pour la plus part. Elles défilent dans des tenues très sexys. Seule ou par petits groupes. Une chose est sûre, elles usent de subterfuges et de moyens de séduction pour attirer l’attention. Avec des culottes, robes ou jupes très courtes et serrées, vulgairement maquillées, elles sont en quête d’éventuels clients.
Ici, les tarifs sont bas et surtout négociables. La passe, sur place, dans un endroit obscure, part de 1000 FCFA à 2000 FCFA. Le déplacement vers un hôtel ou au domicile du client pour une passe tourne autour de 3000 FCFA. La nuit, elle, varie entre 5000 FCFA et 10 000 FCFA. À vrai dire, nous confie un jeune homme du quartier jouxtant cette rue de la SOGEFIHA, et très bon client de ces prostituées mineures, (c'est lui qui nous a donnée les détails des tarifs) celui qui paie plus de 6 000 FCFA pour la nuit est un "Gaou". Il suffit, selon lui, d’attendre 3 h du matin et elles cassent les prix.

Protecteurs ou proxénètes

" À ces heures, elles sont fatiguées et ne peuvent plus rentrer chez elles parce que les parents ignorent pour beaucoup qu’elles travaillent dans la nuit. Elles cassent (réduisent) donc les prix", nous informe-t-il.
Ici, on ne s’adresse à ces prostituées mineures que pour parler affaires ou leur offrir un pot. Dans un cas où l’autre, la finalité est la même : négocier. À part cela, une attitude suspecte ou si le client se montre trop insistant ou violent, il aura affaire à leurs protecteurs camouflés.
En fait, ces derniers sont de jeunes gens qui assurent la sécurité de ces jeunes filles. Ils sont cachés dans une ruelle obscure où ont lieu parfois des parties de jambes en l’air rapides, ou ils sont assis dans l’un des nombreux maquis de la rue observant les mouvements de leurs protégées. C’est à l’un d’eux que nous avons eu affaire quand nous avons voulu échanger avec l’une d’elles. Constatant que notre échange prenait trop de temps pour un marchandage de service, il s’approche prudemment, mais avec un air méchant pour nous interpeller. Mais c’est la fillette qui répond à notre place. "C’est mon vieux-père. On se connaît bien. On discute un peu", nous sauve-t-elle la mise. Rassuré, le protecteur en question retourne vaquer à ses occupations. Notre interlocutrice nous prévient automatiquement : "vieux-père, si tu ne veux pas gérer, il faut partir. Tu asvu  le gar-là ? Si je n’avais pas vite parlé, il allait te boxer". Un homme averti en vaut deux. Nous pressons le pas pour quitter les lieux quand nous sommes interpellés par le même protecteur : "Vieux môgô, on dirait qu’on se connaît ?". Devant notre air surpris, il s’empresse d’ajouter : "tu étais à la SOGEFIHA non ? Vous êtes nos vieux pères. On était petit quand vous étiez là". Nous nous sentons plus rassurés. Quelques rappels de connaissances en commun et nous déclinons la vraie raison de notre présence en ce lieu. Tout ce qu’il nous répond, c’est qu’il n’a pas le temps d’échanger avec nous pour l’instant parce qu’il doit rester vigilant. Un échange de numéros et nous nous séparons. Mais avant, Guillaume (c’est le nom que nous lui donnerons pour préserver son identité) nous lance : "Mais le vieux père, ce n’est pas ici seulement qu’on trouve les petites filles qui font ce travail. Va vers le Dokui, renseignes-toi et tu vas trouver". Sur ce, nous décidons de quitter les lieux. Mais, sa dernière phrase a attisé notre cutiosité. Il faut aller vérifier. Mais, la fatigue se faisant sentir, nous remettons à une autre fois. Autre fait suspect, ces protecteurs ont plus l'allure de proxénètes. Ses mineures travaillent-elles pour leur propre compte ? Ou sont-elles simplement victimes de proxénètes qui usent de menaces pour les contraindre à la prostitution ? Une problématique à éclaircir.

Deux jours plus tard, nous voici au Plateau-Dokui. Selon les indications reçues ça et là, nous retrouvons sans grand effort ce fameux lieu de prostitution situé entre les maquis Dohui VIP et la cave du boss. L’allée opposée à l’agence SODECI ne montre pas, a priori, une grande ambiance. Un peu plus bas, nous voici devant des maquis malfamés. Pas d’hygiène véritable. Le mélange d’alcool et de fumée de cigarette fait monter une odeur désagréable.
À peine nous sommes-nous assis que nous sommes interpellés par un jeune homme qui se présente comme le manager. Trop bavard à notre goût. Mais, en pareille circonstance, il peut être utile. Nous décidons de prendre un pot avec lui. Les bouteilles servies, nous engageons avec lui, mais prudemment, le sujet. Comme s’il nous attendait, il se met à nous raconter son quotidien, celui des prostituées en général et des mineures en particulier. Pour lui, une fille de joie est une fille de joie. Il n’y a pas de différence.

Tchoin c'est tchoin

"Le boss (c’est comme ça qu’il a décidé de nous appeler), ici, tchoin (prostituée) c’est tchoin. C’est vous qui faites la différence. Quand elle est formée (assez mûr physiquement pour avoir des rapports sexuels), elle gère. Tu penses qu’ici les gens demandent l’âge des filles avant d’aller avec elles dans les couloirs noirs ou pour les embarquer ?", nous explique-t-il. Avant même que nous ne placions un autre mot, il enchaîne : "Tu sais, en réalité, ça nous fait pitié de voir des gamines se vendre. Mais ce sont elles qui font venir les clients. Grace à elles, nos affaires tournent". La police ne fait-elle pas des descentes ? Sans hésiter, il répond : "Les policiers viennent, mais les petites les gèrent. Un peu de blé et ça passe. Il y a des policiers même qui  gèrent bizi avec elle (coucher avec elles). Mais chacun a ses affaires. On ne s’en mêle pas".
Au fur et à mesure que nous échangeons, nous voyons les prostituées entrer et sortir. Certaines seules et d’autres avec des clients. L’une d’elles se permet de nous proposer ses services. Avant même que nous n’ayons pu répondre, notre interlocuteur l’éconduit. Elle s’en va. Sans placer un mot. Chacun connaît sa place. Mais nous le reprochons à notre "petit" du jour. C’était pour nous une occasion d’échanger avec elle. Il ne nous répond qu’aucune d’elle ne me parlera. Pire, si elles savent qui nous sommes, elles vont s’éloigner. Et puis, il y a leurs "gros-bras". Devant notre insistance, il fait appel à celle qui nous avait proposé ses services. Sans même nous laisser le temps de faire une introduction, il nous présente comme un journaliste. La jeune fille, l’air un peu apeuré, s’éloigne sans même jeter un regard en arrière. Le temps de nous retourner et parler avec le manager, il n’est plus là. Il a disparu. Nous laissons 4 bières qu’il a ingurgitées en pu de temps. Nous le verrons, plus tard, dehors. En pleine discussion avec un gros bras. Par les gestes, nous sentons que c’est de nous qu’il est question. La prostituée a déjà vendu la mèche. Nous nous empressons de quitter les lieux à bord du premier taxi que nous apercevons. Résolu à avoir de plus amples informations avec Guillaume d’Abobo-SOGEFIHA. Malheureusement, le numéro qu’il nous a donné n’a jamais sonné. Sur son lieu de travail, plus de traces de lui. Aux dernières nouvelles, il aurait eu une altercation avec des individus se réclamant d’un syndicat de transporteurs. Depuis lors, plus personne n’a de ses nouvelles. Dommage !
Une chose est sure, la prostitution des mineurs, même si le n’est pas un phénomène nouveau, prend de plus en plus de l’ampleur. On se souvient encore du fameux Bel Air de Yopougon où le commerce du sexe se faisait à ciel ouvert. Aujourd’hui, c’est le cas d’Abobo. Et peut-être même que d’autres communes sont concernées. La dépravation des mœurs descend de plus en plus bas. Pour toucher les enfants. Au vu et au su de tous. La démission des parents ? La société est-elle à ce point en faillite ? Les autorités ne jouent-elles pas leur rôle ? Ou sont-ce tous ces facteurs réunis qui en sont la cause. Une chose est sure, il est plus qu’urgent de jeter un regard sur ce phénomène qui va de plus en plus grandissant.

Modeste KONE

(Ph. Archives)

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