Mesure de contrôle systématique de l’alcoolémie sur les routes : Pourquoi les automobilistes sont inquiets





mesure-de-controle-systematique-de-lalcoolemie-sur-les-routes-pourquoi-les-automobilistes-sont-inquiets


Afin de mieux lutter contre les accidents de la route, le gouvernement ivoirien a adopté une Stratégie nationale de sécurité routière le 8 juillet 2021. L’une des mesures contenues dans ladite stratégie est le contrôle systématique du taux d’alcool à l’alcootest, éthylotest ou éthylomètre. C’est un appareil permettant de déceler la présence d'alcool dans le sang. Si dans le principe, les automobilistes n’y trouvent aucun inconvénient parce que conscients qu’il y va de leur sécurité, ils ont tout de même des inquiétudes.
En effet, des usagers de la route rencontrés sur plusieurs axes routiers d’Abidjan, émettent des réserves quant à l’utilisation de ce dispositif. "C'est dans le même truc-là que toutes les bouches vont souffler ?", s’interroge S.I, un automobiliste interrogé au niveau du zoo d’Abidjan. En fait, dans son langage typiquement ivoirien, notre interlocuteur veut juste savoir si pour un même éthylomètre, plusieurs usagers souffleront sur le même embout ou bec. Son inquiétude est partagée par Youssouf D., chauffeur de taxi communal à Cocody : "Je suis musulman. Dois-je souffler dans le même éthylotest déjà utilisé sur quelqu’un qui consomme l’alcool ? Je ne pourrai jamais accepter ça".

A lire également - Rentrée scolaire 2021-2022 / Non-respect du code de conduite : Voici les sanctions auxquelles s’exposent les personnels du ministère de l'Éducation nationale

Comme on peut le constater, S.I et notre taximan ont la même préoccupation. Même si pour l’un, c’est une question d’hygiène et de santé et pour l’autre une inquiétude d’ordre religieux.
A priori, comme le disent les autorités, cela ne devrait pas poser de problème. Les policiers et gendarmes sont dotés d’appareils de "dernière génération" pour contrôler efficacement la lucidité des conducteurs et de savoir instantanément si le conducteur a consommé de la drogue ou de l'alcool. Ce qui implique donc que ce sont des alcootests à bec jetable qui seront mis à disposition. Dans un contexte normal, les inquiétudes des automobilistes devraient être dissipées. Mais on n’est justement pas dans un contexte normal puisque le monde est secoué par la pandémie du Coronavirus. La Côte d’Ivoire a connu un cas récent d’Ebola. À cela, il faut ajouter d’autres maladies respiratoires transmissibles dans l’air.

Quel dispositif de "dernière génération" ?

Il existe deux sortes d’alcootest. Les plus utilisés sont l’éthylotest chimique et l’éthylotest électronique. Avec l’un ou l’autre, il y a la possibilité de changement de l’embout buccal. Ce qui signifie qu’on fait usage du même appareil, sauf que le bec est jetable. Entre deux contrôles, on peut le changer. Si, en parlant d’appareil de dernière génération", les autorités ivoiriennes font référence à ce dispositif, c’est déjà bon mais pas suffisant, nous confie un médecin qui, vu l’urgence du sujet, a accepté de nous parler sans attendre l’avis de ses supérieurs (c’est pourquoi il a préféré garder l’anonymat). Pour lui, on a l’impression que "des mesures sont prise sans se référer aux spécialistes ou tout au moins sans tenir compte des expériences réussies dans d’autres pays".
Au dire du médecin, la tendance dans le monde est à l’usage des éthylotests jetable. "Dans ce cas, il n’est plus question d’embouts jetables, mais de l’ensemble du dispositif qui est jetable parce que à usage unique. Dans les pays occidentaux, les autorités se sont tournées vers ces contrôles du fait des ravages de la Covid-19", explique-t-il. Ajoutant que cet appareil a plusieurs avantages. D’abord, il évite la transmission de maladies d’un individu à un autre, car l’embout jetable à lui-seul ne préserve pas d’une contamination. " Après tout, c’est de l’air qu’on expire dans l’appareil", fait-il remarquer.
Ensuite, continue-t-il, le test jetable permet à l’automobiliste de faire son propre test avant de prendre le volant. "S’il (le conducteur) constate qu’il n’est pas apte à prendre le volant, il rentrera en taxi ou se fera conduire par quelqu’un qui est plus lucide. C’est de la prévention. Sinon, le pire peut se produire avant même qu’il ne rencontre un poste de contrôle policier", fait-il savoir.

Prendre exemple sur des cas réussis

Un article du site français caradisiac.com, révélait déjà en octobre 2020 : " Afin de prendre toutes les garanties nécessaires, aussi bien pour les conducteurs contrôlés que pour les opérateurs, nous confie le chef de l’UCLIR, la décision a été prise de commander des éthylotests chimiques sans ballon, pour éviter justement l'utilisation des éthylotests électroniques hors contrôles individuels (...) Ce dispositif particulier a l’avantage d’être en soi à usage unique. Emballé dans un sachet, c’est à chaque utilisateur de l’ouvrir avant de souffler. Reste aux forces de police de faire attention à la date de péremption, puisqu'ils sont valables au maximum deux ans". Le même article précise, également, qu’à cette époque, la gendarmerie nationale française avait acquis 580 000 alcootests à usage unique pour un montant de 300 000 Euros (un peu moins de 200 millions FCFA). En précisant que la vente au grand public revient encore plus cher.
Dans nos investigations, de nombreux automobilistes nous ont fait comprendre qu’ils craignaient que la mesure de contrôle systématique du taux d’alcoolémie ne devienne un autre moyen de racket pour certaines forces de l’ordre. "On les connaît, dès qu’il y a une occasion pour eux de nous soutirer de l’argent, ils ne s’en privent pas. Ils vont aller se mettre sur la route et, même si le taux d’alcoolémie est raisonnable, ils vont dire qu’on a trop bu", redoute Gondo P., un chauffeur de taxi compteur. Son collègue, qui lui est d’accord avec cette mesure, s’interroge s’il n’y aura pas des arrangements entre forces de l’ordre et les conducteurs ivrognes : "Ils sont capables de laisser passer les chauffeurs qui ont trop bu juste pour un billet de banque. On les connaît".
Au total, la prise de mesures pour réduire les accidents de la circulation, notamment ceux dus à l’alcool ou la drogue, est une initiative salutaire à laquelle de nombreux automobilistes adhèrent. Seulement, ils craignent pour leur santé en cette période de Coronavirus. Dans sa mise en œuvre, les autorités devraient en tenir compte pour le bien-être des populations. Mais également, prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas que l’alcootest devienne un prétexte pour les éléments des Forces de l’ordre véreux de s’adonner au racket.

Modeste KONE

En lecture en ce moment

Le Vice-Président appelle à rendre les institutions plus visibles et plus accessibles aux populations

78e Assemblée de l’Onu : Tiémoko Meyliet expose à Guterres la vision de la Côte d’Ivoire sur les enjeux du développement durable