Gbagbo était-il toujours chef de l’Etat en janvier 2011 ?





gbagbo-etait-il-toujours-chef-de-letat-en-janvier-2011


Que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les foyers, dans les bistrots, sur les lieux de travail ou sur les stades de foot, ça fait débat. Si les partisans de Ouattara parlent de « braquage de la BCEAO », ceux de Gbagbo évoquent plutôt « une réquisition en bonne et due forme » des agences de la BCEAO présentes en Côte d’Ivoire.

Comme un débat dans le débat, les partisans de l’actuel chef de l’Etat ivoirien estiment que même s’il y a eu réquisition, le chef de l’Etat de l’époque n’avait plus le droit de prendre des décrets au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire. Pour eux, le mardi 25 janvier 2010, Laurent Gbagbo n’était plus président de la République de Côte d’Ivoire.

La réponse des proches de Laurent Gbagbo est aussi connue. Ils avancent que leur leader était bel et bien chef de l’Etat et les décrets qu’il a pris à cette époque étaient légaux et ne peuvent être remis en cause. Pour tirer tout cela au clair, nous avons interrogé l’histoire et la Constitution de Côte d’Ivoire.

Le week-end du 22 janvier 2011, la BCEAO, suivant en cela les chefs d’Etat de la sous-région, reconnaît Alassane Ouattara comme le Président élu ivoirien après avoir poussé à la démission le gouverneur Phillipe-Henri Dacoury-Tabley. La banque centrale prend par la suite la décision de « révoquer l’accès » de l’administration Gbagbo à ses comptes nationaux. La conséquence d’une telle décision est l’assèchement des banques commerciales ivoiriennes.

Le Président sortant ivoirien qui revendique sa victoire à la présidentielle consolidée par le Conseil constitutionnel réagit et prend un décret de réquisition des agences de la BCEAO sur le territoire ivoirien. Le mardi 25 janvier 2011, à 20h, sur le plateau de la télévision ivoirienne, le ministre des Finances, Désiré Dallo, lit le décret en question. Il apprend aux téléspectateurs que tous les bureaux et employés de la BCEAO sont réquisitionnés par le gouvernement ivoirien et sont désormais placés sous le contrôle des autorités ivoiriennes. On comprend pourquoi ses partisans parlent de décret légal et valide.

Dès le lendemain mercredi 26 janvier 2011, Alassane Ouattara qui revendique aussi son élection annoncée par la Commission électorale indépendance (CEI) et reconnue par les chefs d’Etat de la sous-région, réagit vigoureusement à travers un communiqué. Il juge la réquisition « illégitime et illégale », « nulle et non avenue » et menace : « De ce fait, quiconque participe directement ou indirectement à son application fera l'objet de sanctions et de poursuites criminelles ». On comprend aussi pourquoi ses proches parlent de braquage.

Selon les arguments de droit avancés par la partie accusatrice, l’actuel chef de l’Etat Alassane Ouattara a prêté serment par courrier écrit le vendredi 3 décembre 2010 et déposé le lendemain « samedi matin » au Conseil constitutionnel. A partir de cet instant, il a les rênes de l’Etat et personne d’autre que lui ne peut prendre de décret présidentiel. Pour eux, en prenant un décret de réquisition des agences de la BCEAO, Laurent Gbagbo viole la Constitution et s’expose à la rigueur de la loi. C’est pour cela qu’il a été jugé et condamné à 20 ans de prison pour le « braquage de la BCEAO ».

En face, les arguments de droit ne manquent pas. Premièrement, ils réfutent le terme de braquage qui ne correspondrait pas à l’environnement de l’époque. Non seulement ils évoquent le décret qui a réquisitionné les agences de la BCEAO mais indiquent même que tout a été fait en présence d’huissiers assermentés et les forces de l’ordre qui ont assuré la sécurité des bâtiments. Selon eux, il ne peut y avoir de braquage là où la police veille sur la sécurité et la régularité d’une opération.

A propos de la prestation de serment par courrier de Ouattara, ils la récusent et la jugent illégale et anti-constitutionnelle. Ils en veulent pour preuve, le fait qu’une fois Laurent Gbagbo arrêté et transféré à Korhogo, Ouattara ait été obligé de faire une autre prestation de serment le 21 mai 2011 à la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix de Yamoussoukro en présence du président français Nicolas Sarkozy.

Autre argument de droit, la Constitution du 1er août 2000 qui était en vigueur au moment des faits. Son article 39 dit : « Les pouvoirs du président de la République en exercice expirent à la date de prise de fonction du Président élu, laquelle a lieu dès la prestation de serment ». Pour Laurent Gbagbo et son clan, les pouvoirs du président de la République en fonction continuent tant que le nouveau Président élu n’a pas prêté serment. Or, Ouattara n’a prêté serment que le 21 mai 2011. Ce qui voudrait dire que le décret qu’il a pris le 25 janvier 2011 est valable.

Au soutien de leur position, ils font appel aussi à un autre alinéa de ce même article 39 : « Dans les quarante-huit heures de la proclamation définitive des résultats, le président de la République élu prête serment devant le Conseil constitutionnel réuni en audience solennelle ». La prestation de serment se fait devant le Conseil constitutionnel dans son ensemble et en audience solennelle. A travers le courrier adressé à l’institution chargée entre autres, du contentieux électoral, il manque l’essentiel : la réunion des 7 membres du Conseil et la solennité qui entoure cette réunion.

A ces arguments de droit, le clan Ouattara répond par une question à laquelle il répond judicieusement : « Qu’est-ce qui a empêché le Président Ouattara de prêter serment dans la légalité ? C’est le refus de Gbagbo d’accepter sa défaite et la victoire de Ouattara reconnue par l’ONU ». Réponse du berger à la bergère : « Gbagbo n’avait pas à accepter une victoire qui n’existe pas. C’est lui qui a été proclamé vainqueur par le Conseil constitutionnel dont les décisions sont insusceptibles de recours. Et c’est lui qui a prêté serment devant le Conseil constitutionnel réuni en audience solennelle dans l’après-midi du 4 décembre 2010 au palais présidentiel ».

Faisons maintenant place nette aux juristes indépendants pour qu’ils nous disent, au regard des arguments avancés, s’il y a eu braquage ou pas, si la prestation de serment du 4 décembre 2010 par courrier est légale et si Laurent Gbagbo mérite la condamnation à 20 ans.

En attendant, nous le répétons encore, il ne serait pas mal, pour asseoir la paix définitivement dans ce pays déchiré par tant d’années d’animosité et de guerre sanglante, que le Président Ouattara fasse une passe décisive à Laurent Gbagbo. Après tout, n’est-il pas son cadet ?

Abdoulaye Villard Sanogo

 

Partarger cet article

En lecture en ce moment

Portrait:Jenny-Christelle Debrimou, une ambassadrice made in Africa

Marché africain des assurances : CICA-RE célèbre son 40e anniversaire à Abidjan