SOFIRGLO. Extrait du catalogue "Us et Coutumes" de l'artiste plasticien Kwami Dodji AGBETOGLO
D’un bois abandonné en pleine forêt, sorti des décombres de feux de brousse qui n’a pas brulé, ‘’Sofiorglo’’ renait. Cette renaissance est spirituelle. Inspirée de la forme naturelle du bois, orientée par les instructions des mânes ancestrales, dans les croyances animistes Africaines, KWAMI DODJI AGBETOGLO dit Steven sculpte ‘’Sofiorglo’’.
Elle attire, intrigue. On la trouve aisément parmi tant d’autres objets d’arts, au centre de la galerie Tayé Tayé, située sur la voie principale du quartier Doulassamé, commune Golf 4 de Lomé, la capitale togolaise. ‘’Sofiorglo’’ fait partie d’une série dénommée ‘’Us et coutumes’’. Un ensemble hétéroclite de formes longitudinales. Plus connus sous le nom Asens. « En Afrique de l’ouest, particulièrement chez les Ewés du Togo, les asens sont des autels portatifs que l’on place dans un coin de la maison. Un objet rituel vaudou servant d’entremetteur entre le monde des vivants et celui des défunts ou des dieux », explique Wody Yawo Mawusse le curateur.
Dans cet univers purement évocateur du spirituel, ‘’Sofiorglo’’ se distingue. Sculptée en 2024 selon la technique du bois brulé et de l’assemblage, elle se dresse de manière atypique. Avec allure, au visage scarifié, ni homme ni femme, mais absolument humain. Dans sa tête est planté un objet métallique comportant de petites branches tantôt courbées. « Ce sont des antennes pour capter les ondes spirituelles », poursuit le curateur. De son buste au pieds gauche et droit suspendus sur deux barres de fer, plantés dans une planche de bois, on remarque un trou. Haute d’1m50, 45-29 cm. ‘’Sofiorglo’’, vient de Sofior, le totem et de Glo, la terminaison du nom de famille de l’artiste AGBETOGLO. Pour lui, ‘’Sofiorglo’’ occupe une place de choix. Elle est spéciale.
« CE BOIS N’EST PAS MORT COMME IL DEVRAIT L’ETRE »
Inspirée de la forme naturelle même du bois particulier, à sont rajoutées des touches dictées des dieux, ‘’sofiorglo’’ instaure un dialogue direct entre les ancêtres et les humains. De ces détails plus que cruciaux dans la conception de l’artiste plasticien, ‘’sofiorglo’’ est un symbole. « Dans les choses spirituelles, il y a des règles qu’on ne doit pas ignorer. Et dans le vaudou, sofiorglo est le symbole du tonnerre », explique KWAMI DODJI AGBETOGLO dans son atelier Tayé Tayé où il reçoit des journalistes culturels d’Afrique de l’Ouest et du centre, le 14 novembre 2024. Il porte des nattes africaines, une chemise faite d’un meli mélo de tissus africains et jean, orné par un collier design noir, il a les yeux qui brillent. Le regard grave. Mystérieux. Comme s’il nous parlait et aux dieux.
« Ce bois n’est pas mort comme il devrait l’être à cause de ce feu de brousse ravageur. Au contraire, il a su retrouver la vie afin de porter le message suprême. C’est l’interdiction des choses du vaudou qui incarne tous les dix commandements », révèle son sculpteur. Tout homme, tout être humain doit respecter la nature. ‘’Sofiorglo’’, le réceptacle de divinités livre les recommandations divines, auxquelles tous les hommes doivent obéir « pour l’équilibre du monde ».
Pendant que Steven nous parle de son art et qu’il décortique le pan spirituel de son œuvre ‘’Sofiorglo’’, un fait marquant se produit. Deux prêtres traditionnels arrivent sur les lieux. Ce sont deux hommes d’un certain âge, tissus blancs vêtus à leurs bustes et attachés à leurs hanches jusqu’au pied, sans chaussures, ni montres, ni bijoux. Sans dire mot à personne, ils s’installent sur des troncs de bois posés à l’entrée de l’atelier. Ils contemplent les lieux. Ils admirent ce qui s’y déroule. « Tout pouvoir est lié à leurs yeux aux sources du sacré et ne se légitime qu'en se donnant pour sacré », selon le site lhttps://journals.openedition.org/span/888?lang=it, sur « Le prêtre-roi des Evhé du Sud-Togo ». A l’approche de l’artiste chef des lieux, ils affirment avoir écouté l’appel du sacré leur sommant de venir nous voir. « Leur présence augure de bonnes ondes et nous protège », rassure le curateur. Décidément avec Sofiorglo, nous touchons à quelque chose d’inédit.
Kwami Dodji AGBETOGLO ou Steven son nom d’artiste, est lauréat aux Jeux de la Francophonie de Kinshasa en 2023.Il est le premier sculpteur à rapporter au Togo, la médaille de bronze dans le concours de sculpture. A la fois animiste et adepte des autres religions, Il travaille le bois depuis 15ans. Sa spécificité, il produit des œuvres profanes avec esthétique pour révéler, revendiquer la beauté de la tradition togolaise. « Dans mon travail, j’utilise des symboles (les couteaux rituels, les gongs, les scarifications) et des signes anciens liés aux cours royales africaines dans certaines pratiques endogènes telle que le vaudou », indique Steven. Son but général est de les pérenniser. D’après lui, ‘’Sofiorglo’’ comme toutes ses œuvres, est le reflet d’une communication avec le bois. En plus de la sculpture, Steven travaille le mobilier et le design.
UN OBJET METTALIQUE COMME DES ENTENNES PLANTE DANS SA TETE
Le fer a joué un rôle central dans le développement des sociétés traditionnelles de l'Afrique avant l'ère coloniale. « La généralisation du fer pour la production des armes et des outils agricoles représente un changement majeur au sein de ces sociétés », selon le portail central de l’Université UNIME sur la faculté des lettres et sciences humaines.
Le fer est un outil indispensable dans la vie des population africaines particulièrement celles de l’Afrique de l’ouest. Dans la chasse, pendant les guerres d’antan, on utilise des flèches aux bouts empoisonnés afin de neutraliser le plus fatalement sa proie ou son adversaire. Dans l’agriculture, les outils en fer foisonnent (daba, machettes, charrues, cils, etc…) forgés par les forgerons, une caste qui a pour rôle essentiel d’accompagner la survie des villages en produisant des outils incontournables aux populations. Du moment où il fait partie du quotidien africain, le fer est introduit dans les objets rituels. Il devient culturel. « Dans ‘’sofiorglo’’, sa présence rappelle son importance dans la société africaine », retorque l’artiste. « Minerai extrait de la terre, là où sont ensevelis les ancêtres. Le fer est un porte étendard parfait pour invoquer l’esprit des ancêtres », poursuit-il. Steven est issu d’une famille de chasseurs. Il utilise le fer comme un retour aux sources, un hommage à la nature et un honneur pour ce qu’elle vaut.
De la tête émane les pensées, les réflexions. En Afrique, la hiérarchie, le chef, l’autorité est représentée par la tête. Celui qui dirige, qui commande. « Le fer planté dans la tête, au-delà de l’assemblage bois-fer, de l’esthétique, renvoie à tenir en considération les esprits des mannes et des ancêtres dans les prises de décision et les gouvernances ».
LES SCARIFICATIONS DANS LE VISAGE DE SOFIORGLO
La scarification est une pratique ancestrale africaine. AHOMAGNON HOUÉFA Perpétué dans « Scarification En Afrique : Une Pratique Ancestrale De Plus En Plus Controversée », Kaya manga, 2019 révèle qu’il en existe plusieurs. « Il y a les scarifications tribales, les scarifications décoratives ou les scarifications rituelles voire commémoratives. Cependant, On distingue deux types principaux de scarifications : chéloïdiennes (saillantes) en Afrique centrale et équatoriale. Et puis, les scarifications déprimées (en creux) en Afrique Occidentale ».
« Chez le peuple Tem au nord du Togo, la scarification sert à reconnaitre un clan à un autre », indique CHOUMALI Joana dans « Les scarifications sont comme une carte d’identité », Le Temps, 2017. Pour l’africain d’hier, la scarification est l’élément par lequel on le reconnait. De formes diverses issues de plusieurs techniques ancestrales, elle traduit ses origines, son appartenance et parfois même ses croyances et ses ambitions. La scarification est une valeur à laquelle il est culturellement rattaché. « Ta carte d'identité ! Ta carte d'identité ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire de carte d'identité ? Regardez-moi bien. Sur cette joue, cette marque que vous voyez, c'est ma carte d'identité. J'ai sur mon corps d'autres marques qui concourent à la même démonstration. Tout ici constitue ma preuve et ma carte d'identité. Puisque tout ici atteste ce que je suis, qui je suis », affirmait Jean-Marie Adiaffi, écrivain ivoirien, dans son œuvre intitulée La carte d’identité. Véritable fossé entre les pratiques d’hier et celles d’aujourd’hui où les scarifications tendent à disparaître. « De nos jours au Togo, certains parents font des offrandes aux divinités afin d’épargner leurs enfants des scarifications. C’est pourquoi ‘’Sofiorglo’’, porte fièrement la scarification en creux dans le visage pour ne pas qu’elles disparaissent de nos cultures », martèle Steven.
LE BOIS BRULE, SA TECHNIQUE
Steven sculpte le bois. Mais il ne le coupe pas en forêt. Depuis plus de 15 années, il travaille uniquement avec le bois jeté ou ramassé dans la forêt ou obstruant la voie. Parfois, lorsqu’il remarque un bois en souffrance c’est-à-dire qui doit être brulé pour une raison ou une autre, il l’achète. Il l’interroge avant de le sculpter, de le sauver. Telle qu’évoquée par son congénère Jems Robert Koko Bi, sculpteur ivoirien, "Du feu renaît la vie." Pour DODJI AGBETOGLO, la nature est sacrée et doit être préservée. « J’utilise la technique du bois brulé afin de ressortir la couleur noire qui caractérise l’africain d’origine. Une revendication de mes origines togolaises », lance-t-il. Fièrement. Mais aussi et surtout, il s’évertue à donner une vie nouvelle au bois, « perdu du fait des abus de l’homme ».
Steven a choisi de tailler le bois, « par vocation ». A travers cette matière, « je questionne les vécus de mes ancêtres parce que face aux vicissitudes de la vie, ceux-ci se tournaient vers la géomancie divinatoire pour consultation », conclu-t-il.
Par Christelle KOUASSI, Côte d’Ivoire.