S’il était encore vivant, il aurait eu 119 ans cette année. Félix Houphouët-Boigny, premier président et fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, est aujourd’hui au centre de toutes les orientations politiques. Qu’on soit de la majorité présidentielle ou de l’opposition, tous se proclament ou s’autoproclament disciples de Félix Houphouët-Boigny. À un certain moment, même l’ancien opposant historique qui a traîné Houphouët-Boigny dans la boue et qui a fait sortir des jeunes pour le huer dans les rues dans les années 1990, a fini par se réclamer de lui.
Quand il était au pouvoir, Laurent Gbagbo voulait même pérenniser son nom à travers un mémorial qui s’est limité à un trou béant en plein cœur du Plateau qui, fort heureusement, a été transformé en un splendide palais présidentiel à l’image de la Côte d’Ivoire qui avance. Après avoir passé plus de deux décennies hors du pays, Tidjane Thiam, petit neveu du ‘‘Vieux’’, y est revenu et a été intronisé nouveau président du PDCI-RDA. Après ce forcing et affublé de son costume de président du parti fondé par le Père de la Nation, ce dernier raconte toutes sortes de fables sur Félix Houphouët-Boigny, comme s’il était le seul à l’avoir connu. On l’aura donc bien compris, pour beaucoup, à défaut d’une offre politique séduisante et réaliste, Félix Houphouët-Boigny est un fonds de commerce à exploiter.
Même celui qui est notoirement connu comme son plus grand pourfendeur et celui qui est à la base de la désacralisation du mythe Houphouët-Boigny, a fini par se réclamer de lui. L’on a encore en mémoire que, le 9 avril 2010, date anniversaire de la création du PDCI- RDA, Laurent Gbagbo avait organisé une fastueuse cérémonie à Yamoussoukro pour dévoiler des similitudes entre lui et le Père de la Nation. « Houphouët est rentré dans la politique en réclamant la liberté et l’égalité. Je suis rentré en politique en réclamant la liberté, en réclamant l’égalité ! En réclamant pour chaque citoyen, le droit de se mettre au service de son pays, la Côte d’Ivoire. Oui ! La première ressemblance entre Houphouët et moi en rentrant en politique, c’est de réclamer la liberté, c’est de réclamer l’égalité ». Qui l’eût cru ? Pourrait-on s’exclamer ! Mais c’est aussi ça la politique. Quand on manque de cohérence et de constance dans la vision en politique, on finit par ravaler ses propres vomissures.
31 ans après sa disparition, les Ivoiriens doivent savoir distinguer les vrais disciples d’Houphouët-Boigny et ceux qui sont dans les incantations et autoproclamations politiques
Après ce que l’on pourrait qualifier de sacrilège de Laurent Gbagbo, c’est Tidjane Thiam qui vient, des années après, raconter des choses pas du tout catholiques sur Houphouët-Boigny, le « cerveau politique de premier ordre », selon les mots du Général De Gaulle. De son vivant, toute la Côte d’Ivoire savait que le Père de la Nation n’a jamais touché à l’alcool. Mais son petit neveu Tidjane Thiam est venu raconter ici qu’il buvait du bandji dans chaque village sur la route Abidjan-Yamoussoukro. Quelle abomination ! Peut-on encore s’écrier. Il est vrai que pour son œuvre et pour les services qu’il a rendus à la Côte d’Ivoire, à l’Afrique et au monde, Houphouët-Boigny n’appartient plus seulement à la Côte d’Ivoire, encore moins à sa famille biologique. Aujourd’hui, tout le monde peut donc se réclamer de lui, de sa vision et de sa philosophie politique. Mais cela doit s’inscrire dans une logique et dans une cohérence. Ce n’est pas parce qu’on cherche à se faire élire qu’on va s’autoproclamer houphouëtiste. Ce n’est pas non plus parce qu’on appartient à sa famille biologique ou que l’on milite dans le parti qu’il a créé qu’on devient de facto houphouëtiste. Pour le paraphraser, l’on pourrait dire que l’Houphouëtisme, ce n’est pas un vain mot, mais un comportement. Houphouët-Boigny, c’était le rassemblement, le vivre-ensemble, l’unité, la paix et le développement.
Aujourd’hui où l’on commémore le 31e anniversaire de sa disparition, il se trouve des politiciens qui baignent dans les incantations de l’Houphouëtisme, alors que dans leurs comportements et dans leurs actes de tous les jours, ils surfent sur les clivages ethniques, les divisions et ne raisonnent que par la tribu. Houphouët, c’était la Côte d’Ivoire rassemblée. Sur cette base, l’on peut dire que le seul homme qui marche dans les pas du Père de la Nation, c’est bien le président de la République Alassane Ouattara. Pour Houphouët, la paix était la seconde religion en Côte d’Ivoire. Au nom de cette même paix, Alassane Ouattara a pardonné et gracié tous ses adversaires politiques qui étaient impliqués dans des projets de déstabilisation de son régime. Il a embarqué son pays dans un second miracle et la Côte d’Ivoire est redevenue une destination incontournable en Afrique et dans le monde. Contrairement à ceux qui s’arc-boutent contre l’autochtonie et la tribu, pour Alassane Ouattara, tout comme pour Félix Houphouët-Boigny, notre diversité est une richesse et non une source de divisions et de clivages. Dans la Bible, le Christ a dit qu’après lui, des faux prophètes viendront se réclamer de lui. Mais il a invité les générations futures à faire le discernement entre l’ivraie et le vrai. 31 ans après sa disparition, les Ivoiriens doivent donc savoir distinguer les vrais disciples d’Houphouët-Boigny et ceux qui sont dans les incantations et autoproclamations politiques.
Bernard KRA