Abidjan où être hors de sa maison se transforme en film d'aventure avec toutes les luttes du début à la fin de la journée
Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire, compte plus de 6 millions d'habitants, selon les derniers chiffres officiels. Chaque matin, une immense vague humaine se met en mouvement pour aller au travail, à l’école ou vaquer à d’autres activités, et le soir, c’est le même rituel pour rentrer chez soi. À travers ce reportage immersif, nous vous plongeons dans le quotidien éprouvant des Abidjanais qui dépendent des transports en commun.
Lundi 10 février 2025. Il est 16h20 minutes dans la commune commerciale d'Adjamé lorsque nous prenons la route en direction du Plateau, le centre administratif d'Abidjan. Dans notre berline familiale de fortune, nous pouvons constater que la circulation est dense, les embouteillages ralentissent la progression, signe que l'heure de pointe approche.
Sur le trottoir, nous pouvons voir que les rues sont animées : étudiants, travailleurs et autres usagers cherchent à rejoindre leurs quartiers respectifs. Chacun tente de s'en sortir avec les moyens de transport disponibles, et bien entendu, en fonction de son budget.
À 16h30, nous voilà au niveau de la grande mosquée du Plateau, là où se trouve une sorte de gare de taxis intercommunaux. Juste à côté, nous pouvons entendre un individu crier « Cocody, Cocody! ». C'est « le syndicat », son rôle est d'appeler les clients. Mais à cette heure, ce sont les clients qui viennent d'eux même et en masse parce que c'est l'heure de la descente. Nous décidons de descendre pour continuer le chemin à pieds. Histoire de prendre le pouls de la situation. Chacun cherche le véhicule ralliant sa zone car dans cette gare, plusieurs destinations sont proposées aux clients.
À 16h45, après quelques minutes de marche depuis la mosquée du Plateau, nous sommes au niveau de la gare sud, terminus de bus qui rallient plusieurs communes de la capitale ivoirienne. Un pôle essentiel pour le transport des étudiants et des travailleurs. La scène est familière : des files d'attente interminables, des regards fatigués et l'éternelle incertitude quant à l'heure d'arrivée du prochain bus.
Un jeune homme habillé en costume bleu noir, certainement un habitué de la gare, vu sa manière de deviser avec les commerçants, attend le bus qui doit l’envoyer à Bingerville. C'est avec le visage "rempli de fatigue" visiblement par le travail qu'il décide de nous confier quelque mots.
« Je descends à 16h30, mais j'attends souvent le bus de 17h. Il n'est pas toujours à l'heure et si tu es loin dans la file, tu risques de ne pas avoir de place. Parfois, j'arrive à la maison vers 20h si tout va bien. Il y a des transporteurs privés, mais leurs horaires ne me conviennent pas. Le bus, malgré les contraintes, reste plus abordable et économique. Avec lui, c'est difficile vu la régularité. Mais on est sûr d'arriver à bon port car c'est une ligne direct sans décomposition, ça m'évite des combats dans certain lieu à ces heures surtout avec la fatigue. Voici la réalité de la chose", décrit-il.
À 17h03, nous sommes au quai de la ligne 39 qui relie Plateau à Yopougon-Académie. Ici, la longue file est pleine d'étudiants. Pour plusieurs d'entre eux, c'est la routine. Ils attendent le bus pour rentrer à la maison. Rayane Koffi, étudiant en RhCom, soupire, car fatigué de patienter depuis 2 heures.
« Imaginez-vous que, quand le bus quitte ici à 14h, c'est souvent à 16h qu'il revient. Moi, je suis à Yopougon. Pour arriver ici, c'est un vrai parcours du combattant, parce que quand le bus 39 part, tu dois attendre au moins deux heures avant qu'il ne revienne. Sachant qu'il y a un premier départ à 4h et le second est à 6h. Si tu manques celui de 4h, celui de 6h vient à 7h. Nous sommes confrontés à des retards. Il y a également l'inconfort. C'est vrai que le tarif n’est pas élevé, mais nous ne sommes même pas à l’aise. Il arrive des moments où on n’arrive même pas à fermer la porte. On nous pousse par derrière pour pouvoir le faire. Actuellement, nous sommes arrivés ici à 15h, mais il est bientôt 17h et toujours pas de bus. Cette situation nous créé des désagréments car nous manquons certains engagements et nous n’arrivons pas à tenir nos promesses », nous relate-t-il avec tristesse.
Après un moment d'attente, nous embarquons à bord du bus 98 qui nous envoie à Cocody. Le chauffeur loupe sa trajectoire, provoquant des rires spontanés parmi les passagers. Un rare moment de détente dans cette routine harassante.
17h42, nous arrivons au niveau de la RTI à Cocody. Nous entreprenons une longue marche jusqu'à la SODECI de la paroisse catholique Saint-Jean. Sur le trajet, c’est la même scène qu'au Plateau. Des files d'attente interminables, des étudiants et des travailleurs épuisés. Certains sont assis sur les marches, fixant l'horizon avec lassitude. La devanture des locaux de la compagnie d'eau du pays est devenue un lieu d'attente avec des chaises de fortune. Ici, le tableau semble comique et triste à la fois. D'un côté des personnes arrêtées avec le visage serré et de l'autre côté, des élèves vêtus de leurs uniformes en bleu-blanc et kaki ont des échanges accompagnés de rires pour attendre leur taxi communément appelés wôro wôrô ou warren. Pour nous aider à retrouvert la queue du rang, une étudiante avec le visage renfrongné, nous indique le chemin. « On quitte à l'école fatigué. Pour rentrer à la maison aussi, il n’y a pas de voiture. Les chauffeurs de woro woro font le malin dès qu'on arrive à ces heures », déclare-t-elle, enragée.
Près des taxis communaux du Carrefour la Vie, à quelques kilomètres de Saint Jean Cocody, autre constat : peu de clients, beaucoup de véhicules en attente. C'est qu'ici, bien que les tarifs restent fixes, les trajets sont réduits, obligeant les usagers à se mettre ensemble pour emprunter des taxis compteurs ou VTC.
Et c'est l'autre source des difficultés que rencontrent les Abidjanais dans leurs déplacements. Comme une mafia bien organisée, les transporteurs, aux heures de pointe, changent les règles du jeu. La distance que l'on fait habituellement à un tarif homologué est séquencée et chaque séquence conserve le prix de la distance. Il arrive que le trajet Cocody-Angré se fasse en trois temps avec chaque temps qui se paye au prix de Cocody-Angré. Cette pratique se vit aussi bien sur la voie de Yopougon, Bingerville que sur celle d'Abobo.
Il est bientôt 19h04. Les prix des transports demeurent inchangés, mais les trajets raccourcis compliquent davantage le quotidien des Abidjanais. Au Carrefour de la Vie, la difficulté à trouver un véhicule se fait encore plus sentir. Certains conducteurs refusent des clients, préférant des trajets courts et plus rentables.
Finalement, nous montons à bord d'un bus express en provenance de Treichville à 19h30, une décision dictée par la fatigue et l'impatience. Comme le dit un passager : « C'est pour aller au travail le matin qui est compliqué. Sinon, rentrer à la maison, ce n'est pas un problème... on pourra se reposer là-bas ».
Il est 20h00 lorsque nous atteignons enfin le carrefour Petro Ivoire. Mais pour beaucoup, l'attente continue. Entre les taxis refusant les longues distances et les bus bondés de monde aux heures de pointe, le quotidien des Abidjanais semble figé dans une boucle infinie de patience et de frustration.
Ainsi se termine notre voyage au cœur des transports en commun d’Abidjan.
DK
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