Violence à Yopougon : une association citoyenne dénonce la diffusion télévisée d’aveux sans jugement
La diffusion télévisée d’aveux d’un suspect, sans jugement, suscite l’inquiétude de l’association citoyenne FIER de Jean Bonin Kouadio
Ecoutez cet article en audio
Lire
Continuer
Pause
Arrêter
Dans un contexte de tensions politiques à l’approche de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, l’association citoyenne FIER exprime ses inquiétudes après la diffusion sur la télévision nationale des aveux d’un individu présenté comme membre du PPA-CI. Elle rappelle que la présomption d’innocence et le respect du secret de l’enquête sont des principes fondamentaux de l’État de droit, que nul ne saurait bafouer au nom de la sécurité
COMMUNIQUÉ DE FIER RELATIF À LA DIFFUSION À LA TÉLÉVISION NATIONALE DES AVEUX D’UN INDIVIDU SE RÉCLAMANT DU PPA-CI
L’association citoyenne FIER tient à exprimer sa vive préoccupation à la suite de la diffusion télévisée d’aveux d’un individu interpellé dans le cadre des violences survenues à Yopougon dans la nuit du 1er au 2 août 2025.
Dans un contexte où la tension politique s’accroît à l’approche des élections présidentielles, il nous revient, en tant qu’acteur de la société civile attaché aux principes de l’État de droit, de rappeler les normes juridiques nationales et internationales qui encadrent l’action des pouvoirs publics en matière de procédure pénale, de communication institutionnelle et de respect des droits humains.
1. Le respect de la présomption d’innocence : une exigence constitutionnelle et conventionnelle
L’article 10 de la Constitution ivoirienne de 2016 dispose clairement que « toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d’un procès équitable ». Ce principe fondamental interdit à toute autorité, y compris administrative, policière ou gouvernementale, de présenter publiquement une personne comme coupable avant sa condamnation par une juridiction compétente.
La diffusion à la télévision nationale d’aveux d’un suspect en garde à vue, sans la garantie qu’ils aient été obtenus en présence d’un avocat, sans qu’ils aient été contradictoirement vérifiés par un juge, constitue une atteinte grave à cette présomption.
En cela, cette diffusion pourrait être assimilée à une forme de “procès médiatique” contraire à la jurisprudence constante de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui consacre la présomption d’innocence comme un droit fondamental intangible (Cf. Affaire Alex Thomas c. Tanzanie, arrêt du 20 novembre 2015, §130).
2. Le secret de l’enquête et de l’instruction : un principe protecteur du bon fonctionnement de la justice
En droit ivoirien, la procédure pénale est régie notamment par le Code de procédure pénale (CPP), qui prévoit que les enquêtes de police sont couvertes par le secret. En effet, l’article 38 du CPP dispose que « les procès-verbaux des officiers de police judiciaire ne peuvent être communiqués qu’aux autorités judiciaires compétentes ». Leur contenu, y compris les aveux, ne saurait être livré à la presse ou au public avant transmission au procureur et à l’ouverture d’une procédure judiciaire contradictoire.
La diffusion de ces éléments en dehors du cadre judiciaire porte atteinte à l’indépendance de la justice et peut vicier la procédure, voire mettre en péril les droits de la défense.
3. La lutte contre l’impunité ne peut justifier la violation des droits
FIER salue les efforts des forces de sécurité pour prévenir les violences et assurer la stabilité du pays. Toutefois, la lutte contre l’insécurité ne saurait justifier la violation des garanties fondamentales, qui sont le socle de toute démocratie moderne.
L’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par la Côte d’Ivoire, impose que « toute personne arrêtée soit informée des raisons de son arrestation, assistée d’un avocat, et traduite dans les meilleurs délais devant un juge ».
La légalité de l’arrestation ne suffit pas. Il faut aussi que la procédure respecte les droits du mis en cause, y compris son droit au silence, son droit à l’assistance juridique, et son droit à un procès équitable.
4. Notre appel : pour une communication responsable de l’État
L’association FIER invite donc le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, tout comme l’ensemble des organes de l’État, à privilégier une communication institutionnelle sobre et conforme aux exigences du droit, en s’abstenant de tout discours ou image pouvant être perçus comme une condamnation anticipée.
La confiance du public dans la justice repose non seulement sur l’efficacité des enquêtes, mais surtout sur le respect rigoureux des droits de chacun, y compris des présumés coupables.
Nous exhortons les autorités :
- à cesser la diffusion d’aveux non jugés dans les médias ;
- à garantir le respect des droits de la défense pour toutes les personnes interpellées ;
- à faire preuve de retenue dans la communication sécuritaire à l’approche des élections ;
- et à veiller à ce que les institutions judiciaires soient les seules à se prononcer sur la culpabilité des citoyens.
Force doit rester à la loi, mais à la loi seule.
Abidjan, le 04 août 2025
Pour FIER, le Président
Jean Bonin KOUADIO
Donnez votre avis