En plus de la ressemblance physique, Arnaud Adjé a hérité du métier de son père Adjé Daniel
Arnaud Alfred Adjé est le 2e fils du comédien ivoirien Daniel Adjé. En dehors de la grande ressemblance physique, il a hérité de la « Clinique horlogère », l’entreprise de son père située en plein cœur du Plateau, dans la capitale ivoirienne. Ce jeune homme d’une cinquantaine d’années, n’a pas hérité que du métier, mais aussi de l’humour d’un géniteur éloigné des planches par un Accident vasculaire cérébral (AVC) depuis quelques années. Entre ses prises de rendez-vous et des conseils à ses « patients », il a accepté de nous accorder cet entretien dans lequel il parle de sa vie et de ses projets.
Comment avez-vous vécu votre enfance, en tant que fils du comédien ivoirien Daniel Adjé, l’une des figures de proue du théâtre ivoirien à l’époque ?
Aujourd'hui, je veux dire merci à mon papa, parce que notre enfance, à Koumassi-Sicogi, dans les années 80, c'était un peu comme de la dictature. On a pensé que c'était mauvais, aujourd'hui nous avons les fruits. J’étais un enfant un peu têtu, mais j’étais obligé de suivre ses règles à la maison, comme tous ses autres enfants. Ce n'était pas facile, mais c’était intéressant.
Comment avez-vous vécu la célébrité de votre père ?
C'est vrai qu'il était célèbre, mais il était très humble. Ce qui a fait que nous avons tous vécu humblement, en harmonie avec les voisins, les amis et les frères du quartier. Nous n’avons jamais pris la grosse tête et dans notre entourage, nous sommes connus de tous pour cette valeur.
Est-ce qu'à la maison, l’on retrouvait le Daniel Adjé des planches, avec la comédie, l'ironie, etc. dans l'éducation qu’il vous a donnée ?
Mon papa avait 7 enfants, mais à la maison, c'était une autre personne. Il était autre que ce qu'on voyait sur les planches. Il était un peu sévère avec nous. Il nous donnait aussi beaucoup de conseils, sans compter qu'il nous chicotait, surtout moi. À chaque fois qu'il arrivait du travail, il demandait si Arnaud était là. Dès qu’on lui disait non, automatiquement, il fermait la porte. Là, je ne pouvais rien faire. J'ai dormi beaucoup de fois devant la porte, quand j'étais petit. Mais aujourd'hui, cela m'a vraiment servi de leçon et je suis fier de ce qu'il a fait et de l’homme que je suis devenu.
Aujourd'hui vous vous retrouvez dans cette horlogerie qui, à l'époque, appartenait à votre père. Comment Arnaud se retrouve-t-il à l'horlogerie ?
En 1989-1990, il y a eu l'année blanche et j'étais en classe du 3e. Et à partir de là, je me suis adonné un peu au football. Je n'étais pas excellent, mais j'aimais le football. Un matin, connaissant mon amour pour le ballon, il m'a offert un équipement sportif et une paire de crampons de la marque Mitré, achetée à la Librairie Barnoin, devenue aujourd'hui, la Librairie de France, afin que j’aille faire un essai au Stade d'Abidjan, à Cocody. C’est à partir de ce jour-là que je me suis retrouvé à l'horlogerie.
Ah bon ? que s'est-il passé
Ce matin-là, quand nous nous sommes réveillés, j'ai pris mes équipements et je l’ai informé que j'allais faire mon essai au Stade d’Abidjan. Il a dit d'accord, mais m’a proposé de l’accompagner d’abord au Plateau. Nous sommes arrivés ici à 7h (l’interview se passe dans les locaux de l’horlogerie au Plateau). Il m'a dit : « Attends un peu, il faut ranger tout ce qu'il y a là-bas ». Et il me montre une caisse avec des pièces de montres. En une fraction de seconde, j'ai tout rangé. J'ai enlevé la poussière et tout. Il est 8h déjà et le recrutement avait commencé de l'autre côté. Je lui ai dit : « Papa il est l'heure, je dois partir ». Il m'a dit : « Non, voilà ce qui donne l'argent qui est là. Tu as vu le travail que je suis en train de faire ? C'est ça qui donne l'argent ». Donc c'est à partir de là que je me suis retrouvé à l'horlogerie.
Et quelle a été votre réaction ?
J'ai fait une semaine sans venir au travail. Je viens le matin, je ne viens pas le soir parce que j'étais fâché. Mais après, j'ai vu que c'était un métier qui donnait un peu d’argent (il rit aux éclats). Dans les premiers moments, je ne faisais qu'enlever la poussière, ranger les pièces et les montres. Et au fur et à mesure, la formation est venue. Une fois, il y avait un Allemand qui était venu avec sa montre pour une réparation. Avec mon vilain anglais que je parlais, quand j'ai fini de lui traduire ce que mon père lui donnait comme consignes pour sa montre, le monsieur m'a tendu un billet de 5000 francs en repartant. Et je me suis dit, ah, donc il y a vraiment de l'argent dedans ! C'est comme cela que j'ai commencé à accepter le métier.
Et c'était en quelle année ?
On était en 1992-1993. Sinon j'ai débuté ici en 1991.
Après, comment s’est passée votre formation ? Etes-vous passé par une école spécialisée ?
Je n'ai pas fait de formation ailleurs. C'est mon père qui m’a tout appris. Il m'a appris sur le tas. Et au fur et à mesure, moi-même je m'informais, je lisais des bouquins qu’il y avait ici sur l'horlogerie, j'apprenais au fur et à mesure quelques termes. Je me suis formé au fil du temps.
Et c'est à partir de quelle année votre père vous laisse-t-il la gestion totale de l’horlogerie ?
En 1993, alors que j’avais vraiment commencé à aimer le métier, je faisais aussi des bêtises. Là, il m'a mis dehors. J'ai fait près de 10 ans dehors. Je ne venais pas à l'horlogerie, je faisais de petits boulots à la zone industrielle pour avoir juste un peu d'argent et subvenir à mes besoins comme tous les jeunes de mon âge. En 2001-2002, suite à sa maladie, il m'a rappelé, m'a remis la clé de la société et m’a demandé d’aller voir ce qui se passait là-bas. Et vu son état de santé, j’ai été obligé de laisser beaucoup de choses derrière moi. C'est comme cela que j'ai pris le travail et cela m'a responsabilisé. Il me fallait courir de gauche à droite pour pouvoir payer ses médicaments, l'envoyer à l'hôpital et lui donner à manger. C'est à partir de là que je suis revenu et que je suis resté définitivement.
Ceux qui vous rencontrent sont souvent « choqués » par votre ressemblance physique avec votre papa et votre sens de l’humour. En êtes-vous conscient ?
Oui et on me le dit souvent. Pour la ressemblance, je pense qu’il a pris son temps pour me faire (il éclate de rire). En ce qui concerne l’humour, c'est quelque chose que je ne force pas. C’est comme ça qu'il m'a élevé, c'est comme ça aussi qu'il m'a appris à travailler.
Aujourd'hui, combien d'employés avez-vous et comment vont les choses à l'horlogerie ?
J'ai six employés. En matière d’horlogerie, les choses ne sont plus comme elles étaient avant. Les portables donnent des heures. Et toutes les montres également donnent des heures. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que la montre même est un bijou. Quand vous avez une très bonne montre de renommée, même si elle ne marche pas et que vous l’avez au poignet, elle rajoute un plus à votre tenue. Il faut savoir qu'il y a des personnes qui aiment beaucoup les montres, qui en font des collections. Celles-là cherchent de vrais et bons horlogers pour restaurer leurs montres.
Quelle est votre particularité ?
Notre spécialité c'est surtout les marques suisses. Les Suisses sont spécialistes des montres de grandes marques. Ce sont des marques dont les pièces sont bien fabriquées et accessibles. C’est à partir de la Suisse que beaucoup de pays ont commencé à créer leurs montres. Et aujourd'hui, on a la Chine qui fabrique aussi les pièces. Il y a donc des pièces Made in Suisse qui sont faites en Suisse et il y a les Swiss Park, des sortes de copies, qui sont faites en Chine. Dans notre horlogerie, nous pouvons changer facilement les pièces de marque. On nous appelle des horlogers rhabilleurs car nous faisons aussi l'entretien des montres.
En dehors du rhabillage et de l’entretien, est-ce que vous êtes dans la revente des pièces ?
Non, moi je ne vends pas de pièces. Nous avons des correspondances en Suisse, en France, et moi-même je me déplace beaucoup pour aller vers la Chine, pour aller regarder aussi la technologie et prendre les pièces qu'il me faut pour faire mon travail.
Y a-t-il un autre enfant de votre père qui travaille avec vous ?
Oui, j'ai mon petit frère qui a été formé au Centre d'horlogerie d'Abidjan (CHA) qui était situé au grand carrefour de Koumassi qui travaille ici avec moi. Il est très doué.
Est-ce que vous connaissez des horlogers professionnels en Côte d'Ivoire ?
En toute sincérité, en 1980, mon papa a formé près de 5 étudiants, qui sont partis dans des grandes boîtes, telles que Philippe, Constant et il y en a d'autres qui sont partis chez Zino. Moi-même, actuellement, il y a au moins 3 personnes qui ont quitté l'école, qui n'avaient pas d'atelier, qui ne savaient même pas ouvrir une montre, qui sont venues chez moi et à qui j'ai donné le petit savoir que j'ai. Et aujourd'hui, ces personnes-là travaillent dans de grandes boîtes. Ce que j'aimerais rappeler, c'est que d'ici les 10 ans qui vont suivre, il n'y aura plus d'horloger en Côte d'Ivoire.
Pourquoi dites-vous cela ?
D'abord parce que le Centre d'horlogerie d'Abidjan (CHA) est fermé et que nos petits frères et enfants veulent avoir l'argent rapidement. Ils ne sont donc pas prêts à faire des réparations, alors qu'en horlogerie, il faut avoir le temps car ce sont de petites pièces. C'est très difficile pour nous actuellement. Même ceux qui sont sortis de l'école refusent de faire des formations et stages de perfectionnement.
Quels sont vos projets ?
J’ai des projets plein la tête. Pour ce qui concerne le travail, nous avons ouvert une enseigne à la Riviéra que j’essaie de faire fonctionner. Par la grâce de Dieu, tout se passe bien.
N’êtes-vous pas tenté par les planches aussi ?
Je vais y réfléchir (Rires).
Réalisée par Solange ARALAMON
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